La vase

2004

  • IsabelleFerreira_LaVase_2004
    La Vase, 2004
    Capture d'écran - Vidéo numérique sur DVD, 1 minute 15
  • La Vase, 2004
    Vidéo numérique sur DVD, 1 minute 15
Dans un paysage bucolique filmé en plan fixe, composé d’un étang et de quelques arbres au loin, un personnage inerte est allongé au premier plan, sur le ventre, la tête plongée dans l’eau. Au second plan, une ombre mouvante se dessine en contre-jour, dans une marche qui l’emmène d’un arbre à l’autre, pour finir en aplomb de l’étang.

On pense bien sûr au genre de la peinture de paysage et on trouve chez Isabelle Ferreira une persistance du support pictural. Son travail traverse les champs de la sculpture, de la vidéo et de la peinture autour de thématiques communes : le cadre, le plan, la frontalité, le volume, la lumière. 

Se rappelant du tableau La Chute d’Icare attribué à Bruegel, les rapports de plans dans La Vase s’articulent sur différents niveaux d’importance dramatique. Bruegel peint la mort d’Icare, en portant plus d’attention aux actions annexes avancées au premier plan qu’à la chute du personnage mythique. Chez Isabelle Ferreira, le mouvement du promeneur au fond fait presque oublier l’action (ou la non-action) du premier plan. Le regard focalise sur la silhouette qui se déplace, s’arrête, repart, puis s’assoit comme pour contempler une « surprenante noyade en eau tranquille » (Didier Semin à propos de la vidéo). Devenue quasi anecdotique, la femme la tête dans la vase donne néanmoins son titre à l’œuvre et met celle-ci en tension. Ce qui se joue entre les deux personnages n’est pas livré. On ne peut que s’interroger sur leur identité, sur l’action, sur ce qui est arrivé à cette femme gisant (oserait-on voir en elle une nouvelle Laura Palmer ?)… L’immobilité (la mort) rencontre le mouvement (la vie).

Si les images d’Isabelle Ferreira sont construites au millimètre près, la composition semble ici très intuitive. Sa précision prend forme avant tout par la pensée. Le temps de la vidéo devient un espace de réflexion et procède de « l’arrêt sur image ». Il se passe des choses dans le champ resté fixe, alors que l’action y est infime. Comme un point graphique, le promeneur dynamise la scène. Ainsi, l’image presque figée n’est jamais la même et des ruptures continuent de s’y jouer.

D’une durée très courte (1mn15), La Vase fait paradoxalement l’apprentissage d’une impérieuse lenteur. Guidant le regard, incitant à la pause, au silence et à la concentration, elle ouvre à l’expérience de l’imagination et révèle la poésie des petites choses. L’étendue d’eau forme une séparation en diagonale entre les deux berges, qui pourraient symboliquement être les territoires du rêve et de la réalité, sans pouvoir distinguer l’un de l’autre. Symboliquement encore, l’étang rappelle les fleuves de l’Hadès, royaume souterrain de la mythologie grecque auquel on accède en passant de l’autre côté du fleuve Styx, que les âmes des morts traversent dans la barque de Charon. Le promeneur au second plan devient ainsi un double de Hermès psychopompe, ou conducteur des âmes, faisant ici le lien entre le monde des vivants et l’univers des morts.

Isabelle Ferreira impose mélancoliquement son rythme. La lenteur est vécue comme un apprentissage, une recherche de justesse. Avec la douceur d’une invitation, elle se réapproprie la réalité par l’image.


Johana Carrier