Éléments de perspective

2017

  • IsabelleFerreira_Elements-de-perspective-02-03-04-05_2017_©RebeccaFanuele_DSC1343
    Éléments de perspective #2 (déployé), #3, #4, #5, 2017
    Socles peints, cuivre, racines, chêne, dimensions variables

    Vue d'ensemble de l'exposition Revenir là où tout est résolu, en 2017 à la Galerie Maubert.

    © Rebecca Fanuele
  • IsabelleFerreira_Elements-de-perspective-01_2017_©RebeccaFanuele_DSC1310
    Éléments de perspective #1, 2017
    7 socles peints, cuivre, racines, chêne, 147 x 144 x 31 cm

    Collection Frac Normandie

    © Rebecca Fanuele
  • IsabelleFerreira_Elements-de-perspective-02_2017_©RebeccaFanuele_DSC1329
    Éléments de perspective #2, 2017
    7 socles peints, agrafes sur racine, bois glanés en chêne, 147 x 144 x 31 cm

    Collection Frac Normandie

    © Rebecca Fanuele
  • IsabelleFerreira_Elements-de-perspective-03_2017_©RebeccaFanuele_DSC1313
    Éléments de perspective #3, 2017
    5 socles peints, acrylique sur 36 fragments en CP, papiers agrafés sur bois glané, cube en chêne, bois usiné, 118 x 144 x 31 cm

    © Rebecca Fanuele
  • IsabelleFerreira_Elements-de-perspective-04_2017_©RebeccaFanuele_DSC1318
    Éléments de perspective #4, 2017
    5 socles peints, agrafes sur bois glané, racine, 89 x 144 x 31 cm

    Collection Fonds d'Art Contemporain - Paris Collections - Ville de Paris

    © Rebecca Fanuele
  • IsabelleFerreira_Elements-de-perspective-05_2017_©RebeccaFanuele_DSC1328
    Éléments de perspective #5, 2017
    5 socles peints, cuivre, papiers agrafés sur chêne, acrylique sur papier, racine, 147 x 144 x 31 cm

    © Rebecca Fanuele
  • IsabelleFerreira_Elements-de-perspective-01-03_2017_©RebeccaFanuele_DSC1348
    Éléments de perspective #1, #2 (déployé), #3, 2017
    Socles peints, cuivre, racines, chêne, dimensions variables

    Vue d'ensemble de l'exposition Revenir là où tout est résolu, en 2017 à la Galerie Maubert.

    © Rebecca Fanuele
La série Éléments de perspective fait écho aux traités sur l’invention du paysage qui sont apparus à la fin du 18e siècle. Elle emprunte son titre à l’un de ces traités : Éléments de perspective pratique à l’usage des artistes, suivis de réflexions et conseils (Éd.1799) de Pierre-Henri de Valenciennes dans lequel il donne des conseils, regroupe des éléments pour la composition et pour l’étude du paysage. Dans la tradition de la peinture de paysage, la perspective est apparue de façon classique comme un élément fondamental de la composition. À la fin du 18e, les études du paysage d’après nature ont montré la difficulté de restituer les éléments naturels et la fugacité du paysage. Cela amène une autre conception de la composition paysagère et la production de nombreux traités sur le paysage, écrits notamment par des artistes. La question du hasard et de la combinatoire font leur apparition dans ces traités. Des méthodes d’invention de peinture paysagère mettent l’accent sur des systèmes de composition parfois très éloignés de l’expérience sensible de la nature. Dans ces traités, l’inventio de l’artiste, en se détachant de l’imitatio, doit permettre d’agencer éléments naturels et éléments de construction.

Éléments de perspective renvoie à cette pratique de composition paysagère abstraite et se présente ainsi comme une construction combinatoire, composée de modules. La composition est faite sur un mode empirique et sensible ; les couleurs et les modules répondent à l’identification d’un certain nombre de formes dans l’art du paysage, déclinés de façon abstraite (ciel bleu, végétation, rocaille, source d’eau…). Ils reprennent les unités picturales identifiées dans d’autres travaux comme SpacioCorès. Champs de couleurs, matériaux plus ou moins denses, distances entre les formes afin de créer un point de vue, ou « une vue » (pour reprendre un concept de Pierre-Henri de Valenciennes).

 
Isabelle Ferreira



...et pour aller un peu plus loin sur cette série, des propos extraits d'un entretien mené par Sandrine Morsillo au printemps 2022 :

Sandrine Morsillo : Les Éléments de perspective ressemblent à du mobilier, à la fois bibliothèque et peintures abstraites composées de lignes et d’aplats de couleurs. Ces éléments-mobiliers rappellent les cadrages de Mondrian et contiennent des matériaux qui apparaissent alors à travers leurs couleurs et leurs matières. Dans votre atelier, j’hésite encore un moment entre une composition et ce qui pourrait être du stockage. En s’ouvrant à votre démarche on se laisse aller à apercevoir dans des matériaux rassemblés et simplement déposés une installation en germe.

Isabelle Ferreira : Les Éléments de perspective pourraient en effet donner l'impression de vouloir rejouer une peinture de Mondrian ou encore des sculptures minimalistes, comme les Furnitures paintings de Donald Judd, bien sûr j’en ai volontairement repris les codes formels afin de mettre en place la série mais les enjeux ne sont pas du tout les mêmes. Chez moi il y a un va-et-vient assumé entre la capacité de cette œuvre à devenir soit peinture soit sculpture selon les modalités de son exposition. Deux états de monstration sont en effet possibles. Le premier forme un tableau accroché au mur dans lequel les éléments sont rangés au millimètre près et où rien n’est interchangeable ; le second dialogue davantage avec le lieu qui l’accueille et est créé avec le contenu du mobilier déployé dans l’espace. Il y a donc un état de l’œuvre qui produit une image et un autre qui fait volume. Pour moi ce sont des tableaux qui contiendraient tous les éléments nécessaires à une installation en trois dimensions, d’où ce terme d’« éléments » mis en perspective. Ce qui les distingue fondamentalement des œuvres de Judd aussi, c’est la nature et la destination des objets stockés. Les mobiliers contiennent tout mon vocabulaire avec une dimension plus « artisanale» par rapport à des œuvres minimalistes. Les mobiliers sont à la fois des réservoirs de matériaux, de formes, de couleurs, de rebuts, où sont consignés une succession de gestes. Des morceaux de cuivre coupés, des surfaces peintes en aplats côtoient des racines recouvertes d’agrafes ou des citations, des miniatures, de pièces plus anciennes. Cela crée une sorte de condensé d’atelier. Le naturel y côtoie l’industriel : des bois trouvés dans la nature sont positionnés à côté de racines qui ont été acheté dans une boutique. Pour choisir ces éléments, je puise dans un stock personnel. Ce que vous voyez dans l’atelier est le résultat de plusieurs années d’accumulation de matériaux et d’objets divers, de glanage, de récupération. Pour moi, le stockage est déjà une forme du travail en soi. C’est le degré zéro d’une composition à venir qui porte en lui la charge et le potentiel des œuvres futures, un peu comme s’il était chargé d’une force particulière à la manière des fétiches africains. Ce que je stocke dans l'atelier répond au départ à un besoin logistique de ranger pour gagner de la place, mais au final cela finit par infuser dans ma pratique, les espaces de stockage et les matériaux y sont presque aussi importants que les œuvres elles-mêmes. 

SM : Une fois hors du meuble, la disposition de ces pièces dans l’espace peut-elle changer au cours de l’exposition ? C'est un bel exemple de peinture qui sort du tableau pour se déployer dans l'espace. D’ailleurs le titre Éléments de perspective est annonciateur d’éléments dans la troisième dimension puisqu’en « perspective » ; ce serait donc une peinture occupant l’espace réel et non une représentation en perspective.

IF : J’installe d’abord chaque objet dans le mobilier, mais après cette étape je peux aussi laisser intervenir la personne qui a en charge cette œuvre (commissaire, collectionneur, galeriste) car c’est elle qui va décider de l’exposition et du déploiement dans l’espace, en créant des liens entre les objets, de nouveaux récits entre les éléments. Éléments de perspective est une pièce complexe où je définis une composition structurée à l’intérieur du mobilier tout en abandonnant une partie de sa présentation à quelqu’un d’autre dans un second temps. Il y a certaines pièces dans mon travail qui sont liées à la question du laisser-faire. C'est une œuvre en devenir, comme des éléments à combiner à partir d’un contenu prédéterminé. Par exemple, on peut décider de retirer ce qui fait office d’aplat de peinture dans le mobilier pour lui redonner son statut de volume en dehors du mobilier (inopérant lorsqu’il était rangé). Il peut aussi devenir socle si on décide de poser un élément dessus. À ce moment-là les couleurs passent d’une peinture, dont on ne percevait que la surface dans le mobilier, à ce que j’appelle une unité de peinture, un volume recouvert de couleur.

Lorsque je sélectionne et mets en dialogue les objets sur une étagère, je pense au moment où ils en seront retirés par moi ou quelqu'un d'autre. La composition finit par ne plus m’appartenir. Je la donne au hasard. Chaque geste arrive avec un geste contraire : ranger les objets pour mieux les ressortir. A l’origine de la pièce - et c’est aussi de là qu’elle tient son nom - il y a un traité du 18e siècle destiné aux jeunes peintres de Pierre-Henri de Valenciennes, Élémens de perspective pratique à l’usage des artistes, suivis de réflexions et conseils (1799). Il y donne des éléments de composition pour l’étude du paysage dans le but de le fabriquer artificiellement. Les questions du hasard et de la combinatoire font leur apparition dans ces types de traités. Leurs méthodes d’invention sont parfois très éloignés de l’expérience sensible de la nature. C’est la question de l’inventio de l’artiste qui se détache de l’imitation. Comme dans ce traité, mes éléments de perspective permettent l’agencement d’éléments naturels et d’éléments de construction. La composition est faite sur un mode empirique et sensible. Ces idées reprennent d’ailleurs les unités picturales identifiées dans d’autres travaux comme SpacioCorès : des champs de couleurs, des matériaux plus ou moins denses, les distances entre les formes, la question du point de vue, si chers à la sculpture.