Les Blocs de Ciel d’Isabelle Ferreira, catalogue de la 23ème édition de l’Art dans les chapelles, 2014

Par Léa Bismuth

Quand Isabelle Ferreira se confronte à la matière, on pourrait croire qu’elle lutte avec elle — à coups de marteau, de grattages, d’incisions et de déchirures — alors qu’elle cherche en permanence à la révéler à elle-même. Il s’agit souvent d’un dialogue avec des matériaux peu nobles, pour beaucoup issus du vocabulaire de la construction et du bâtiment.

Pour la chapelle de Saint-Gérand, elle sculpte l’espace, décrivant une promenade à travers un lieu chargé de spiritualité et de vie ancestrale diffuse. Et c’est avec des balles de carton qu’elle s’approprie la nef, des « ballots » de recyclage pesant près de 300 kg chacun, armés d’une structure en ferraille qui tente de les maintenir, afin de compacter au maximum ce carton que nous rejetons après en avoir fait usage. Les matériaux pauvres sont pour elle du plus digne intérêt et ici, la beauté des sculptures est d’autant plus frappante que seule la machine qui est à l’origine de leur forme connaît leur secret de fabrication. Ces cubes imparfaits, abrupts et mal taillés, sont façonnés pour prendre le moins de place possible, mais sur leurs bords, la vie semble néanmoins se manifester par l’irrégularité des contours et les feuilles de carton qui s’échappent.

Sculptures ready-made forgées par une usine de traitement des déchets, ou compression à la César ? La question n’attend pas de réponse. Car, l’important est de saisir la portée du geste se réappropriant ces blocs anonymes en les recouvrant de peinture. Encore une fois, l’artiste

travaille les contraires : elle utilise de la peinture acrylique en bombe — par pudeur, dit-elle, d’employer le pinceau du peintre — mais cette peinture est d’un bleu ciel à la clarté parfaite et enthousiaste, comme l’envolée des cieux de Tiepolo. Elle fait redescendre ici l’immensité du ciel au dessus de nos têtes au sol: le bleu retrouvera là nécessairement sa dimension mystique, mais soulignera aussi les aspérités cartonnées, en un hommage au monde ouvrier qui se confronte à la matière lourde et première, pour faire peut-être, des miracles. Isabelle Ferreira réalise, dans cette chapelle aux saints jumeaux — les Saints Drédeno— un exercice de concorde, inaugurant les retrouvailles entre la prétendue brutalité de la matière recyclée et les histoires qu’elle charrie malgré elle. Le visiteur chemine, s’arrête, lève les yeux pour mieux décrire une chorégraphie d’équilibriste entre des blocs de ciel et découvrira peut-être, à l’issue de sa traversée, une présence quasi totémique à la matérialité massive et subtilement composée de couleurs éclatées, discutant avec les bois polychromes du lieu. Brutalité et finesse se rejoignent.

 Léa Bismuth