La vase, 2005

Par Johana Carrier

Le travail d’Isabelle Ferreira a le calme apparent qui précède la tempête. Elle réalise des vidéos et des sculptures, plus ponctuellement des performances et des installations, où le temps semble arrêté, suspendu dans un ralentissement des gestes qui entraîne une pause du regard et un étirement des sensations. Gestes, regard, sensations, autant de termes qui introduisent au travail, guident le spectateur et mettent les formes en tension.

Les gestes sont d’abord ceux de l’artiste, qui se met en scène et s’éprouve physiquement. Dans la vidéo Tableau de 8 minutes, Isabelle Ferreira est la forme lointaine qui s’atèle à l’ascension d’un terril, depuis la plaine jusqu’au sommet, véritable performance où la rapidité de la montée répond à la perte du souffle et à la difficulté de la tâche. Pour Passing Polaris, l’artiste brave une vague, forme luttant au ralenti contre une mer qui envahit le champ de l’image. Dans Valse, elle rejoue une table une composition pour piano de Chopin, accompagnée du morceau original ; la justesse des attitudes et des positions ne laisse aucun doute quant à l’exigence de l’artiste.

Les sculptures deviennent les traces de gestes performances dans leur façon de mettre en jeu le corps. Sa précision lorsqu’il s’agit d’empiler des briques qui menacent de tomber (Chariot, Puits) et sa force afin d’assembler des châssis (Sculpture pour une image, Construction pour un tableau, Paysage 9).

Les gestes, infimes car lointains ou ralentis, résiduels d’une action, imposent un rythme au regard.

Isabelle Ferreira propose un rapport temporel à l’image et à l’objet. On s’arrête, on regarde, et on découvre des petites choses non spectaculaires : une forme sur le terril, un personnage couché le visage dans un étang pour La Vase, une projection vidéo dans Sculpture pour une image… L’expérience de l’œuvre se fait parfois éphémère, lorsqu’une sculpture existe quelques secondes (Candles, où deux flammes s’éteignent tout à tout) ou quelques jours (Sans titre, un arbre sec sur lequel quelques feuilles résistent).

La pause nécessaire à la découverte, voire à la contemplation, confère à ces œuvres un effet mystérieux et poétique, intrigant et émouvant. Il ne s’agit pas de résistance à la vitesse, pas plus qu’une célébration de la lenteur, mais plutôt d’une attention portée aux mouvements intérieurs et extérieurs, aux sensations.

Sensations révélées par les multiples contrastes qui s’imposent dans les œuvres d’Isabelle Ferreira. L’action minime à laquelle on assiste dans Tableau de 8 minutes contraste avec la difficulté et la rapidité effective de l’ascension du terril. La simplicité de l’image de La Vase s’oppose à la violence de l’apnée qui dure 1mn 15. Ces tensions opèrent également dans les sculptures de briques, comme dans Chariot où la lourdeur des briques se dissout dans la fragilité de l’assemblage qui menace de tomber à chaque instant et où la masse se fond dans le vide.

Dans les sculptures, les contrastes viennent d’une exploration de la matière, de ses possibles, de ses valeurs symboliques autant que de ses limites. Les objets, s’ils gardent leurs fonctions, sont rendus inutilisables : posé sur une planche à roulettes, le chariot pourrait être poussé, mais un simple mouvement le ferait s’écrouler ; le puits est comme il se doit plein d’eau, mais celle-ci est contenue dans de petits sacs (…)

 Johana Carrier