Grande surface, 2004

Par Didier Semin

Le cinéaste est, selon la formule d’Andrei Tarkovski, un sculpteur de temps. Bien que le cinéma se rapporte évidemment à la peinture, par bien des aspects, il touche aussi à la sculpture, si l’on considère que l’étirement des images dans le temps est une forme de travail en volume – un volume qui se déploierait simplement, si l’on peut dire, dans la quatrième dimension du temps, au lieu de se déployer dans la troisième dimension de l’espace. Nul paradoxe, donc, à ce que le travail d’une jeune artiste comme Isabelle Ferreira conjugue cinéma et sculpture, sa production relevant tantôt du film, tantôt de l’objet.

Du côté du film (de Tarkovski bien sûr, mais aussi d’Hitchcock, de Kiarostami…) : les visions de montagnes magiques, de vides étouffants, et les surprenantes noyades en eaux tranquilles, mariages improbables d’Ophélie avec Narcisse célébrés par quelque personnage de Beckett.

Du côté de l’objet, cette table rasée de près devant un miroir brouillé où se contemplent, satisfaits, deux bibelots en forme de paon, ou ces empilements de châssis devenus guérites ou maisons, architectures joliment faites du seul volume résiduel et ordinairement inaperçu qu’est l’épaisseur du tableau (et où il n’est pas interdit de voir, justement, la métaphore du film comme mise en volume de la peinture). On sent bien qu’un ordre souterrain règle cet univers aux formes superficiellement disparates : objets ou films, c’est un même temps qui s’impose à nous : une sorte de pur présent étiré, blanc et douloureux, le temps de la mélancolie.

 Didier Semin