La tentation de l’architecture, Archistorm, p.20, Juillet - août 2008

Par Clément Dirié

ETUDE[1] d’Eden Morfaux et Spaciocorès[2] d’Isabelle Ferreira, incarnations récentes de la fascination que le processus architectural et la recherche de structures exercent sur les plasticiens, qu’elle soit objectivation d’une forme représentée ou résultat d’une réflexion sur les possibilités associées de la peinture et de la sculpture, l’œuvre d’art architecturalement teintée offre ici de monolithes séduisants, exemplaires de cette tentation générale de l’Architecture.

Dans son dernier ouvrage traduit en français, Hal Foster débute son essai consacré à Frank Gehry en indiquant que l’importance accordée à celui-ci dans le panthéon mondial des génies du siècle « en dit long sur notre époque, car elle souligne la place centrale occupée aujourd’hui par l’architecture dans le discours culturel. Cette centralité trouve son origine dans les débats des années soixante-dix sur le postmodernisme, qui soulignaient l’importance de cet art ; elle a été confirmée par l’inflation du design et du visuel dans toutes sortes de sphères : l’art, la mode, les affaires, etc. » Cette centralité est bien évidemment à l’œuvre dans l’art contemporain, que celui-ci reprenne les codes, les modalités ou « simplement » les formes du geste architectural.
 
Pour son Etude, réplique fascinante décalquée du Saint Jérôme dans son étude d’Antonello da Messina (v. 1475, National Gallery, Londres), présentée dans le cadre d’une exposition sur « la problématique de la promesse architecturale », Eden Morfaux ne s’inspire ni de la peinture ni du sujet à l’œuvre dans cette représentation de l’idéal humaniste. Il « utilise » le tableau renaissant comme un élément de vocabulaire, pour en extraire une réduction a minima de la forme représentée et en subtiliser le potentiel d’investissement. Le support de la scène – ce socle qui permet d’auréoler et d’accessoiriser saint Jérôme d’attributs humanistes et symboliques – devient dans cette version 3D l’objet même de l’art, entre mobilier et architecture, support futur d’actions et de performances. En la réinterprétant et en lui inventant une épaisseur réelle issue de son existence représentée, le « copiste » permet alors au regardeur d’entrer dans la peinture, d’en devenir l’usager et non plus seulement le spectateur. Il confisque en quelque sorte la forme peinte, la vidant de ses éléments pour lui conférer un devenir-sculpture autonome et disponible. Le titre de cette œuvre, vouée à la pensée et à la réflexion, souligne la dimension prototypale de la structure générique dont il s’agit de régénérer l’usage. Un usage à la mesure de l’homme pour lequel elle se propose.

L’œuvre réalisée par Isabelle Ferreira dans le patio du centre d’art Passerelle n’a pas été construite en fonction d’une forme préconçue ou prédéfinie. Elle résulte du seul emploi d’un protocole et de la volonté de lier peinture (forme, surface, couleur) et sculpture (volume, espace, multiplication des points de vue), architecture (maquette, modules) et musique (partition, rythme). D’une certaine manière, SpacioCorès forme un Gesamtkunstwerk, en réconciliant les disciplines et en se nourrissant de leurs potentialités pour créer une structure faite de réseaux et de langages parallèles et combinés. Deux mesures s’y imbriquent : celle de l’homme – son champ de vision, ses dimensions, son sens de l’espace – et celle d’une unité de base, la brique, support et sujet de création. De cette combinatoire naît une œuvre à regarder de face comme du dessus, à examiner comme macrocosme ou addition de microstructures, une construction qui vibre comme un nuancier de couleurs et de formes. 

Qu’elle soit à disposition du corps ou simplement du regard, chacune de ses œuvres, micro-architectures, se perçoivent come deux résultats d’une fusion singulière entre peinture et sculpture.

 
[2] Spaciocorès, Isabelle Ferreira, Centre d’art Passerelle, œuvre qui était exposée du 21/03 au 17/05, 41, rue Charles Berthelot, 29200 Brest, tél : 02 98 43 34 95, www.cac-passerelle.com.